«

»

JUGEMENT 202-C

DOSSIER N° : 291/18 RC :309/18
NATURE DU JUGEMENT :AVANT-DIRE-DROIT
JUGEMENT N° :202C DU 12/10/2018
PREMIER APPEL DE LA CAUSE : 18/05/2018
DELAI DE TRAITEMENT : __0 Année(s) 5 Mois 4 Jour(s)

Le Tribunal de Commerce d’Antananarivo, à l’audience publique ordinaire du vendredi douze octobre deux mille dix-huit , salle 7, où siégeaient :

Madame/ Monsieur, RAFALIMANANA Mahamanina – PRESIDENT

En présence de : Mme/ Mr RAMANANA R. Charles – ASSESSEUR

RAKOTOMANGA Alisoa – ASSESSEUR Assisté(e) de Me RAHARISON Rova – GREFFIER Il a été rendu le Jugement suivant :

ENTRE :

RAKOTOARIJOELINA Honoré , ayant son siège à Lot C 110 A est Gare Ambanimaso II , ayant pour Conseil Maître : RAJASINELINA Falilalao

Requérant(e), comparant et concluant.

RASOAMBOLAMANANA Nirina , ayant son siège à Lot C 110 A Est Gare Ambanimaso II , ayant pour Conseil Maître : RAJASINELINA Falilalao

Requérant(e), comparant et concluant.

ET :

L’ACCES BANQUE Madagascar , ayant son siège à Immeuble BIR HACKEIM, Lot IBG 21 Ter Antsahavola , ayant pour Conseil Maître : RAZAFINARIVO Chantal, RAZAFINARIVO Andy

Requis(e), comparant et concluant.

LE TRIBUNAL

Vu toutes les pièces du dossier :

Ouï la requérante en ses demandes, ses fins et conclusions ;

Ouï le(la)(les) requis(e)(es) en ses moyens, fins et conclusions;

 

Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par exploit d’huissier en date du 03 Mai 2018, sieur Rakotoarijoelina Honoré et dame Rasoambolamanana Nirina, ayant pour Conseil Me Falilalao Rajasinelina, Avocat au Barreau de Madagascar, ont assigné devant le Tribunal de commerce de céans la société ACCES BANQUE, ayant son siège social à l’immeuble Bir Hackein Lot IBG 21 Ter Antsahavola Antananarivo, pour s’entendre :

 

  • Requalifier la convention de compte courant conclue entre les parties en un contrat de prêt d’argent ;
  • Dire et juger que le taux d’intérêt de ce prêt est usuraire ;
  • Evaluer et ramener les restes à payer réellement par le débiteur suivant le taux légal ;
  • Accorder un délai de grâce en faveur du débiteur pour le montant du prêt non remboursé ;

 

Aux motifs de leur action, les requérants exposent ce qui suit :

 

Qu’une convention de compte courant a été ouverte à leurs noms auprès de l’établissement Acces Banque le 29 Juillet 2016 ;

Que pour garantir ce compte, les requérants ont nanti des biens mobiliers à hauteur de 7.090.000 Ariary (article 15 de la convention) ;

Qu’en sus du nantissement, le véhicule TOYOTA immatriculé 2525TAK a été gagé et estimé à 15.000.000 Ariary ;

Que les requérants ont conclu un crédit d’un montant de 19.000.000 Ariary auprès de l’Accès Banque ;

Qu’un calendrier de paiement a été convenu entre les parties avec un taux d’intérêt annuel de 36% ;

Que l’Ordonnance 62-016 du 10 Août 1962 dispose pourtant en ses articles 1 et 2 que : « le taux de l’intérêt légal est fixé à 5 p.100 en matière civile et à 6 p.100 en matière commerciale » ; « l’intérêt conventionnel ne pourra dépasser le taux de 12 p.100 l’an en matière civile » ;

 

Que suivant le calendrier de paiement, les débiteurs ont effectué le paiement d’une somme de 18.547.890,96 Ar jusqu’au 21 Mars 2018, date à laquelle ils étaient tombés, par cas fortuit, en cessation de paiement ;

 

Qu’actuellement, l’Accès Banque s’empresse de réaliser le nantissement de tous les biens affectés en garantie du remboursement malgré que le débiteur ait déjà payé 18.547.890,96 Ar ;

 

Que les requérants estiment qu’ils sont victimes d’un abus de la part de la requise, vu l’intention de cette dernière de réaliser les nantissements évalués à 22 090 000 Ariary pour le recouvrement du reste de la créance estimée à 7 757 488,10 Ariary ;

 

Qu’en effet, le taux pratiqué par la banque est usuraire ; que la soit disante convention de compte courant n’est en fait qu’un simple contrat de prêt d’argent usuraire ;

 

Que par exploit d’huissier en date du 07 Avril 2018, l’Accès banque a signifié la clôture dudit compte ;

Que par ailleurs, le non remboursement du prêt fait suite à la survenance d’un cas fortuit en ce que le véhicule qui servaient de rentrée d’argent aux requérants est tombé en panne ;

 

Que c’est pour ces raisons qu’ils demandent l’octroi d’un délai de grâce ainsi que la réévaluation de leur dette ;

Pour conforter leurs dires, ils versent au dossier :

  • La convention de compte courant du 29 Juillet 2016 ;
  • Le contrat de nantissement de matériels en date du 29 Juillet 2016 ;
  • La lettre « notification d’octroi de crédit » du 29 Juillet 2016 ;
  • La signification de clôture de compte et de statut de crédits du 07 Avril 2018 ;

En réplique, la société Accès Banque rétorque par le biais de ses Conseils, Mes Razafinarivo, ce qui suit :

Attendu que la convention objet du présent litige est un contrat par lequel est régi le fonctionnement du compte bancaire des demandeurs ; qu’il échet de les débouter de leur demande de requalification ;

Attendu par la suite que les articles 1 et 2 de l’Ordonnance 62-016 du 10 Août 1962 ne s’appliquent pas au présent ; qu’en effet, d’une part l’intérêt légal est un intérêt dans le cadre d’un prêt pour lequel un taux conventionnel n’a pas été fixé ou comme dommages intérêts résultant du retard dans l’exécution d’un paiement et d’autre part l’article 2 ne s’applique qu’en cas d’intérêt conventionnel en matière civile ;

 

Qu’il échet de débouter les requérants de ce chef de demande ;

 

Attendu par ailleurs que les requérants admettent avoir emprunté la somme de 19 000 000 Ariary avec un taux d’intérêt annuel de 36% et reconnaissent qu’ils doivent encore payer 7 757 488,10 Ar ;

Attendu pourtant qu’ils estiment brusquement être victimes d’un prétendu abus ; attendu que sur la notification de crédit du 29 Juillet 2916, les requérants ont apposé la mention : « vovaky ary ekena » ;

 

Qu’étant assortie d’un échéancier, les requérants ne pouvaient ignorer les détails de ce en quoi ils s’engageaient ; que l’article 123 de la LTGO stipule clairement que le contrat légalement formé s’impose aux parties au même titre que la loi ;

 

Attendu que les requérants versent dans la mauvaise foi quand ils affirment reconnaître devoir la somme de 7.757.488,10 Ar ;

Qu’en effet, cette somme ne représente que ce qui devait être payé au 26 Mars 2018 alors que l’encours, soit ce qui reste à recouvrer, est de 18.547.890,96 Ariary comme cela est indiqué et sur la signification du 07 Avril 2018 et sur la lettre de mise en demeure du 26 Mars 2018 ;

 

Attendu que la lettre de mise en demeure du 07 Avril 2018 fait suite à l’absence de paiement des requérants depuis le mois d’Août 2017, soit presque une année entière ;

 

Attendu que le Tribunal de céans appréciera le fait que les requérants n’auraient jamais contesté le taux pratiqué par la concluante si cette dernière n’avait pas signifié la susdite lettre de mise en demeure ;

 

Que les requérants, tout en contestant le taux, deux années plus tard, après la notification de crédit du 29 Juillet 2016, prétendent encore demander un délai de grâce alors qu’ils n’ont rien payé depuis le mois d’Août 2017, soit depuis presque une année ;

 

Que pourtant le délai de grâce est une mesure exceptionnelle accordée au débiteur de bonne foi et ce délai ne peut dépasser douze mois ;

Que l’inaction des requérants depuis un peu moins d’une année ne pourra en aucun cas être interprétée comme une preuve de bonne foi ; qu’ils bénéficient déjà actuellement d’un délai de grâce tacite depuis le mois d’Août 2017 ;

Attendu que la concluante est fondée à demander à titre reconventionnel :

  • la condamnation des requérants au paiement de la somme de 18.547.890,96 Ar en principal outre les intérêts légaux à compter de la signification de la lettre de mise en demeure du 07 Avril 2018 et jusqu’à parfait paiement ;
  • l’exécution provisoire du jugement à intervenir étant donné l’ancienneté de la créance et la mauvaise foi des requérants ;
  • la condamnation des requérants aux frais et dépens dont distraction au profit de Mes Razafinarivo, Avocats aux offres de droit ;

 

L’Acces Banque produit au dossier une procuration au nom de Rahajarinirina Tovonantenaina Joseph ;

Dans ses conclusions ultérieures, les requérants excipent ce qui suit :

Attendu que le fonctionnement du compte relève du mécanisme du prêt d’argent et non du compte courant ;

Qu’en effet, le contrat de prêt est le contrat par lequel le prêteur remet une somme d’argent, que l’on appelle aussi le capital, à l’emprunteur qui doit la restituer au terme convenu, l’échéance, qui peut se diviser, accompagné ou non d’intérêts rémunérant ce prêt ;

Qu’il ressort de l’espèce que le prêteur en la personne de l’Accès Banque a ici remis une somme de 19 000 000 Ariary aux requérants et que ces derniers devaient restituer cette somme suivant une échéance divisée soit un calendrier de paiement fixé par les parties, avec un taux d’intérêt de 36%;

 

Que ce prêt est pratiqué à un taux largement supérieur au taux légal et donc forcément usuraire ; qu’en tant que tel, il est malvenu de la part de la requise de déclarer que les articles 1 et 2 de l’Ordonnance 62-016 ne s’appliquent pas au présent litige ;

 

Attendu qu’il est de principe que l’on ne peut déroger par convention entre particuliers aux règles qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ;

Que le taux d’intérêt fixé par l’Ordonnance sus citée est une disposition d’ordre public ;

Attendu également que malgré l’existence de la mention « lu et approuvé », la société Acces Banque ne peut se permettre d’invoquer l’article 123 de la LTGO ;

 

Que le contrat querellé est un contrat d’adhésion en ce que ses principaux termes ont été fixés par l’Accès Banque qui est un professionnel ; que les requérants sont des non professionnels ;

 

Qu’il était facile pour la requise de berner ces derniers ;

 

Que vu le taux exorbitant pratiqué par la banque et les problèmes dont les requérants font face, il ne saurait leur être reproché la mauvaise foi dont la requise se prévaut ;

 

Attendu qu’en ce qui concerne l’exécution provisoire réclamée par la requise , les requérants ont déjà constitué un nantissement en gage de leurs créances ; que la requise ne peut justifier aucune urgence et le montant de la créance est encore sérieusement contesté ;

 

Qu’il échet de la débouter de sa demande d’exécution provisoire conformément à l’article 190 du Code de Procédure Civile ;

 

DISCUSSION :

 

En la forme :

 

Les demandes tant principale que reconventionnelle ont été présentées en respect des conditions voulues par la loi, elles sont donc régulières et partant recevables ;

 

Au fond :

 

  • Sur la requalification du contrat de compte courant en contrat de prêt :

 

Les parties ont signé une convention de compte courant avec un crédit de 19.000.000 Ariary accordé par la banque assorti d’un taux de 36% annuel ;

Par conséquent, aucune requalification ne semble nécessaire dans la mesure où le contrat de compte courant comporte en lui -même une convention de prêt ;

Dès lors, la demande de requalification est sans objet ;

 

  • Sur le montant restant dû à l’Acces Banque Madagascar :

 

Il résulte de l’article 3 de l’Ordonnance 62 016 du 10 Août 1962 portant fixation du taux de l’intérêt légal et du taux maximum de l’intérêt conventionnel, réglementation des prêts et répression de l’usure que : « En matière commerciale, il est interdit de stipuler un taux d’intérêt dépassant de plus du quart le taux moyen pratiqué dans les mêmes conditions des prêteurs de bonne foi pour des opérations de crédit comportant les mêmes risques que le prêt dont il s’agit. » ;

 

Ainsi donc, pour éclairer la religion du Tribunal, il convient par avant dire droit d’ordonner une expertise aux fins :

 

  • d’une part d’apporter toutes les observations sur le fait que le prêt en date du 29 Juillet 2016 aurait été consenti à un taux usuraire, et ce en observation des dispositions de l’article sus cité,
  • d’autre part d’établir un nouveau décompte conformément aux dispositions de l’article 4 de la même Ordonnance 62 016 qui stipule que :
  • Lorsqu’un prêt conventionnel a été consenti à un taux effectif supérieur à celui fixé aux deux articles précédents, les perceptions excessives seront imputées de plein droit sur les intérêts normaux alors échus et subsidiairement sur le montant du prêt à rembourser. Si la créance est atteinte en capital et intérêt, le prêteur sera condamné à la restitution des sommes indûment perçues avec intérêt au taux légal du jour où elles lui auront été payées. »

 

P A R C E S  M O T I F S ,

 

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort :

PAR AVANT DIRE DROIT,

  • Déclare les demandes tant principale que reconventionnelle régulières et recevables ;
  • Dit que la demande de requalification de la convention de compte courant en contrat de prêt est sans objet ;
  • Ordonne une expertise aux fins :
    • d’apporter toutes les observations sur le fait que le prêt en date du 29 Juillet 2016 aurait été consenti à un taux usuraire, et ce en observation des dispositions de l’article 3 de l’Ordonnance 62 016 du 10 Août 1962 portant fixation du taux de l’intérêt légal et du taux maximum de l’intérêt conventionnel, réglementation des prêts et répression de l’usure ;
  • d’établir un nouveau décompte conformément aux dispositions de l’article 4 de la même Ordonnance ;
  • Commet pour y procéder Rabenarivo Corine, Expert-Comptable, lot IBI 67 Antsahavola, Antananarivo ;
  • Ordonne aux parties de fournir à l’expert toutes les informations et pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission ;
  • Dit que les frais occasionnés par l’expertise seront partagés par moitié entre les parties ;
  • Réserve le fond et les dépens ;
  • Renvoie l’affaire a l’audience du 26 octobre 2018.

 

Ainsi jugé et prononcé en audience publique, les jours, mois et an que dessus.

 

Et la minute du présent jugement a été signée par le PRESIDENT et le GREFFIER, après lecture